Peinture

LE TEMPS DES COLLAGES

Tout a commencé lors d’un déménagement.
Je partais terminer mon bac en arts visuels à Montréal. Ayant vendu la plupart de mes meubles, j’avais réussi à mettre toutes les choses de ma vie dans une voiture et une petite remorque. Toutes les preuves matérielles de mon existence se retrouvaient côte à côte, empilées, tassées, souvent sans autre lien que celui d’en témoigner. J’aimais ces contrastes dictés par les circonstances, ces contradictions assises dans la même boîte. Ce désordre, structuré malgré tout, me passionnait.

 

Je sentais que je resterais attirée et bouleversée par des mises en scène orchestrées par des nécessités diverses, bousculant et faisant basculer mes paysages familiers. Je riais de cela. Je voyais aussi que mon travail pourrait devenir comme un fleuve : s’imposer avec sa force et ses contingences. Je savais déjà que je choisirais parfois de me fermer les yeux pour peindre, que je ferais des incursions dans des mondes

contradictoires et que ma main les contraindrait à se côtoyer, bien malgré elle et bien malgré eux.

 

Ce plaisir, cet étonnement, s’est matérialisé dans des collages : des paquets compacts de traces et de témoignages, des têtes de prisonniers avec des continents dans les joues, des questionnements graves avec des graines de sable dans les bas, des foules pressées devant la fin d’un collage et derrière la fin du monde. Cet esprit, attirant et provoquant des libertés sales ou nobles, est demeuré longtemps, puis il a mué : par-dessus les collages : la peinture; par-dessus la peinture : d’autres collages. Puis le compostage s’est vraiment installé. Comme si la remorque qui contenait les vestiges de mes fameux passés n’avait pas été vidée, et qu’au bout d’un temps, une nouvelle matière, neuve celle-là, prête à faire du neuf aussi, avait émergé. Mes travaux picturaux ont ainsi mué; ils ont été épais d’histoires et sont devenus surtout pleins d’avenirs.

Peinture

LE TEMPS DE LA PEINTURE

Après longtemps de compostage et de jachère, de travaux de printemps et de vrai jardinage, les souvenirs bidimensionnels, collés les uns sur les autres, ont fini par produire un magma. La peinture s’est laissé imprégner par des cultures ancestrales et souterraines qui se sont glissées, comme des échappées dans mes gestes, et qui sont devenues des séries de traits, de lignes, de points, comme des bouts de tissus, des miettes de dieux, des restes de rituels récupérés comme des emballages de cadeaux de Noël que l’on conserve et qui finissent sur la toile, puis sous la peinture, ne laissant que les traces d’une histoire dont on

prouve l’existence par ces traces-mêmes,

mais qui n’est plus pertinente à raconter.

Puis sont venues des toiles de repos, sans passé, sans folklore, sans tradition : que des grands gestes neufs instaurant une mutation, signifiant une digestion et une intégration des signes et des matières. Puis encore des toiles où je côtoie toutes les cultures dans leur plus simple expression, si simple que je touche à l’enfance, si simple que l’enfance vient me toucher; formes si utilisées et aimées désormais lavées de tout sens, ou les englobant tous. Contraste ultime par la superposition de symboles cristallisés et de gestes neufs où la matière elle-même sait ce qu’elle est.